Prix Georges Riguet 2011

Présentation de La Trace silencieuse par Marie-Odile GOUDET, professeur de lettres classiques, présidente du jury.


« Magicien de l'insécurité, le poète n'a que des satisfactions adoptives. Cendre toujours inachevée. » Une parole de René Char à laquelle, Madame, vous faites singulièrement écho dans votre beau recueil. Voici ce qu'à votre tour, vous nous dites : « Ainsi nous habitons à la jointure des pages un espace improbable et toujours provisoire. Que faire de l’inachevé ? »


Après avoir suivi la Trace silencieuse qui est la vôtre, nous avons l’intime conviction que vous en avez fait le meilleur usage. Vos poèmes, particulièrement concis (les plus brefs ne comportent que deux lignes)  ont la  densité pudique  de  certains  haïkus japonais  et  leur  force d'expression. Ils sont balisage discret de cette piste à l'horizon incertain que nous suivons tous depuis « l’enfance, comme un fruit cru à portée de main » jusqu'à l’automne « avec son goût de sang caillé et la vie qui s'arrête au bord des caniveaux » entre ces deux extrêmes, que faire sinon avancer, fuir sur des chemins d'incertitude , car « la mort nous talonne comme un chien qui nous suit et qu'on ne connaît pas ».


La fuite est du reste chez vous un thème récurrent : « J'ai fui la prison de verre aux âmes grises... l'opaque léthargie des jours sans importance...une douleur figée comme un éclat d'obus. » Vous fuyez ce que nous fuyons tous «cette claudication impassible du temps» parce que nos frêles embarcations ne servent qu'à un aller, jamais à un retour et que nous n'avons parfois qu'une envie, celle de «rentrer chez soi pour éviter les balles perdues » comme le gibier traqué dont «la vie tressaute sous le glas des fusils».I1 arrive cependant que l'on parvienne, du moins pour un instant, à déjouer cette « conspiration hypocrite », à écarter le questionnement universel : « Que savons-nous de l’Avant-nous, Que savons-nous de l’Après-nous ? ». La vie se montre parfois généreuse et nous offre de savoureuses escales où : «Les sabliers sont renversés... un vieillard me sourit », où l'on peut : « Chanter à bras ouverts, aimer dans une étreinte de vent» et où parfois il arrive, comme chez Michel-Ange, que « l'homme effleure le doigt divin ».

 

Si la tonalité générale du recueil est plutôt le mode mineur, l'espérance ne s'en trouve pas gommée. Après tout, comment Schubert aurait-il achevé sa Symphonie ? Sur   vos   sentiers   fleurissent   en   tout   cas   des   images   d'une   puissante originalité: les habitudes vont « comme des vieilles femmes courbées », «la braise allume des étoiles dans un grésillement de bonbons dépliés » «une lumière élémentaire et jaune comme le questionnement perpétuel et silencieux d'un chat errant» .


Malgré sa mélancolie, votre recueil invite à poursuivre le chemin en quête de l'imprévisible. Oui, vous nous invitez à ce jeu de piste malgré tout exaltant et sur lequel vous avez glissé le beau message de votre recueil, « entre deux pierres disjointes ». Avant de terminer, je vous propose d'entendre en entier ce texte qui est comme un écho de la Nuit Rhénane d'Apollinaire.

 

Verre à pied

La vie
se boit au verre.
Un verre à pied
orgueilleux, cristallin,
à moitié vide à moitié plein
verre de nectar et verre de fiel.
En équilibre sur un pied
coule la vie.
Les verres se vident se remplissent
s’entrechoquent
se fissurent
éclatent
se brisent.
Pourquoi autour de nous autant de verres cassés ?
Désemparés
nous injurions une main maladroite
et nous pleurons la vie absorbée par la nappe du temps.

Marie-Odile Goudet

Le Creusot, le 16 avril 2011.